Si le phénomène est spectaculaire et alimente de fait toutes sortes de fantasmes, il reste parfaitement naturel
« Au bout du bout du bout du monde. » François Bargain l’aime cette plage du Pertuis de Maumusson, où les embruns chargés de sel brûlent les arbres et où le fracas des vagues tranche avec le silence berçant, de l’autre côté de la pointe, un bon kilomètre plus loin, la plage de Gatseau.
Gérant du petit train de Saint-Trojan, il conduit avec appétit depuis seize ans les touristes sur cette langue de sable, entièrement immergée les jours de grandes marées : « L’endroit est si isolé que vous pouvez faire un tour sur vous-même sans voir une seule construction. » Par jour clair et avec une bonne vue, on peut éventuellement apercevoir le port de la Cotinière et le phare de la Coubre. Là, tout au sud de l’île d’Oléron, les éléments sont maîtres. C’est l’un des endroits d’Europe qui subit le plus fort recul du trait de côte. Depuis les années 1990, la mer grignote, en moyenne, une vingtaine de mètres par an. Au cours de l’hiver 2013-2014, l’océan est allé jusqu’à dévorer une cinquantaine de mètres.
Le phénomène d’érosion n’a pas attendu le XXIe siècle pour engloutir les dunes. Depuis 1965, le terminus du petit train a reculé d’un kilomètre. « C’est considérable », ponctue François Bargain. « Mais l’érosion est un phénomène, naturel, vieux comme le monde. Il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que subir. » L’association avait pris l’habitude de déplacer le quai tous les deux ans. Sauf que ces dernières années, un répit est observé. « Cela fait trois ans qu’on n’a pas eu besoin de reculer la gare. »
L’accalmie se vérifie auprès des scientifiques. Les constatations in situ des bénévoles recoupent les mesures réalisées par drone, dans le cadre des travaux menés par Dynalit, le Service national d’observation. « Cela s’est réduit à quelques mètres l’année dernière », confirme le responsable du service, Xavier Bertin. Directeur de recherche au CNRS, il connaît le coin comme sa poche, travaillant dessus depuis près d’une vingtaine d’années.
Ce ralentissement nourrit les interrogations et constitue le terreau à toutes sortes d’hypothèses. L’une d’elles attribue le répit au chantier d’extension du port de la Cotinière, 13 kilomètres plus au nord. Les travaux auraient eu pour effet de dévier les courants vers la Côte Sauvage, détournant les vagues du pertuis de Maumusson.
« Même si on comprend de mieux en mieux les mécanismes, il y a encore des zones d’ombre. C’est très complexe. Mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y a aucun effet du port », répond Xavier Bertin. L’infrastructure maritime est trop éloignée, trop insignifiante pour tenir un rôle clé. Pour le scientifique, les raisons sont autrement plus prosaïques : « Les deux derniers hivers se sont montrés particulièrement calmes. » Peu de vagues, peu de houle, donc peu d’érosion. Ainsi, le rythme serait dicté par la dureté des hivers.
Thierry Mareschal, responsable du pôle littoral et nature de la Communauté de communes de l’île d’Oléron, exonère également le port de la Cotinière de toute responsabilité : « On peut observer des mouvements dans un rayon d’1, 2, voire 3 kilomètres, mais pas à de telles distances. »
Certains considèrent également que la montée des eaux induite par la fonte des glaces accentue le phénomène. Les effets du réchauffement climatique s’observent mais pas autant qu’on ne peut l’imaginer : selon Xavier Bertin, la montée des eaux compterait pour un seul des 20 mètres de recul annuel observés depuis les années 90.
Le pertuis de Maumusson favorise les légendes littorales pour des raisons qui s’entendent : il est tout simplement fascinant. Le mouvement est dans sa nature. Tous les traits de côte proches des embouchures sont soumis à des phénomènes puissants – cela s’observe à Soulac (33), à Capbreton (40) – mais un tel dynamisme, c’est unique à l’échelle du territoire national.
Maumusson signifierait « mauvais passage ». De nombreux bateaux s’y sont échoués entre les XVIe et XIXe siècles, victimes de la violence des courants, des bancs de sable arrachés des plages de Vendée, de la virulence des vents. Aussi invisibles soient-ils, les fonds se révèlent tout aussi mouvants.
Il faut se rendre compte : il y a deux cents ans, la même plage du Pertuis de Maumusson se trouvait 1,5 kilomètre plus à l’est. Progressivement la côte s’est remplumée, se nourrissant de millions de mètres cubes de sable provenant de la Côte Sauvage. En 1824, la pointe de la Coubre se situait, elle, 3 kilomètres plus à l’ouest (voir infographie). Des dizaines d’années d’érosion de cette partie du continent ont fini par changer son orientation, ce qui a eu pour conséquence de stopper l’engraissement de la pointe de Gatseau. C’est enclenché, à partir de 1960, la mécanique inverse, à savoir l’érosion de l’extrémité méridionale de l’île d’Oléron.
« Depuis les années 1990, l’érosion plus marquée au niveau de la pointe de Gatseau qu’au nord de la Grande Plage a modifié l’orientation du trait de côte de plus de 10°, si bien que la dérive littorale augmente fortement du nord vers le sud », explique Xavier Bertin dans un rapport. « Dans ce contexte, la divergence de la dérive littorale le long du trait de côte augmente l’érosion de la pointe de Gatseau, ce qui augmente la rotation antihoraire du trait de côte et, par là même, la dérive littorale. » Le recul de la pointe de Gatseau s’est accéléré au fil du temps selon un mécanisme auto-entretenu.
Selon les projections, le grignotage des terres au sud d’Oléron va se poursuivre encore longtemps. Une donnée considérée par les collectivités et l’intercommunalité. La localisation des grands parkings de Saint-Trojan-les-Bains et de Grand-Village-Plage a été pensée en prenant compte des évolutions futures. « Toute la côte ouest, de la plage de Vert Bois à la pointe de Gatseau, va continuer de reculer. Et plus on sera au sud et plus le phénomène sera marqué », annonce Thierry Mareschal. Ici plus qu’ailleurs en Charente-Maritime s’illustre le principe selon lequel le mouvement est le principe de toute vie.
Par Thomas Mankowski - t.mankowski@sudouest.fr
Publié le 12/11/2022 à 12h41